Mon analyse de la séquence présidentielle

Notre Pays vient de vivre en quelques semaines, du premier tour de l’élection présidentielle à la nomination du Premier Ministre, une séquence politique historique, dont il convient de mesurer la portée mais également les limites.

Commençons par les limites, il convient à mon sens de relativiser la portée du « big bang » politique qui se déroule sous nos yeux, en distinguant les appareils politiques, d’une part, et les choix politiques fondamentaux des français, d’autre part. De ce second point de vue, en effet, il est frappant de constater que les résultats du premier tour de l’élection présidentielle s’inscrivent dans la parfaite continuité du mouvement entamé il y a 15 ans avec la qualification de Jean-Marie Le Pen pour le second tour de la présidentielle de 2002 : montée régulière du FN qui s’est traduite notamment par des résultats historiquement élevés aux dernières élections municipales, régionales, européennes…

La qualification de Marine Le Pen pour le second tour de la présidentielle était attendue, la première place lui était promise et ses chances de succès final n’étaient pas nulles pour de nombreux commentateurs : seule la faiblesse de sa campagne et de son programme, apparue en pleine lumière lors du débat de l’entre-deux tours, est venue relativiser fortement cette montée en puissance à laquelle nous sommes désormais habitués. Rien de nouveau sous le soleil de ce côté donc.

Face à ce courant important, on retrouve dans les résultats du premier tour les autres grands courants idéologiques qui traversent la société française, « à leur place » dirons-nous : un courant social-libéral que l’on dit majoritaire dans le pays depuis de nombreuses années (ce que le résultat final tend à confirmer), une droite « traditionnelle » dont l’élimination ne doit pas masquer le score somme toute élevé, une gauche « alternative » également encore très forte.

La nouveauté de cette élection présidentielle ne réside donc pas tant dans les choix politiques fondamentaux des français que dans la traduction de ces choix au sein de l’offre politique. Cette traduction illustre de fait une forme de mise en cohérence de l’offre politique au regard des attentes des français, après des années de décalage structurel entre les appareils politiques et les aspirations populaires.

La puissance des partis politiques a de fait incité les principaux candidats à s’appuyer sur ces outils de communication et de financement qui semblaient incontournables pour qui portait une ambition de succès. C’est ce décalage qui a empêché le pays d’être « gouverné au centre », car il a conduit les deux précédents Présidents de la République au grand écart idéologique : un Nicolas Sarkozy porté sur l’ouverture à gauche et les références à Jaurès, mais chassant également sur les terres du Front National, un François Hollande qui a dû faire de la finance son ennemi avant de devoir se conformer à la réalité économique et financière dans laquelle s’inscrit notre pays. Dès lors qu’il faut partager les voix du centre avec le camp d’en face (voire avec un troisième homme centriste, comme François Bayrou en 2007), il faut également rassembler, non seulement dans son camp, mais également « de l’autre côté de son camp » pour espérer gagner.

La nouveauté, donc, c’est bien le coup de maître réussi par Emmanuel Macron, qui a réussi à incarner, hors des partis traditionnels, cette aspiration centriste que l’on dit depuis longtemps majoritaire. Je ne reviendrai pas ici en détail sur la portée et les limites de cet événement, abondamment commentés par ailleurs. Je ferai simplement remarquer qu’il ne convient pas de donner un caractère trop définitif à la recomposition en cours.

Toute élection est le fruit de la rencontre entre des tendances lourdes et des circonstances particulières. L’élection du candidat d’En Marche n’avait rien d’inéluctable. Et si la droite n’avait pas organisé de primaire ? Et s’il n’y avait pas eu d’affaire Fillon ? Et si le candidat Macron avait été moins talentueux ? Et si, et si, et si… Arrivé en tête au premier tour, élu nettement plus confortablement que les sondages l’avaient annoncé au second (et même en l’absence de « front républicain »), Emmanuel Macron est un Président bien élu, c’est un fait, contrairement à ce que prétendent ceux qui n’acceptent pas leur défaite.

Pour autant, il ne faut pas sous-estimer la capacité de résistance des appareils politiques traditionnels. Il n’est que de constater que le parti socialiste bouge encore (si si !) 15 ans après l’humiliation de l’élimination de son candidat au premier tour de la présidentielle de 2002. Dès l’annonce de la nomination d’Edouard Philippe au poste de Premier Ministre, les réactions de survie de feu le système bipartisan n’ont pas manqué de fleurir, ci-dessous un petit extrait.

« La place de la gauche n’est ni dans son gouvernement ni dans la majorité qui pourrait le soutenir. La démocratie française est malade. (...) Qui peut croire que la gauche se reconstruira dans une coalition dirigée par un membre des Républicains? Ce n’est ni sérieux, ni crédible » - Benoît Hamon

« Maintenant, c’est clair : avec un premier ministre de droite, le Parlement a besoin de gauche » - Jean-Christophe Cambadélis

« Il s’agit d’affaiblir la droite avant les élections législatives. Il s’agit de déstabiliser les électeurs » - Bruno Retailleau

« Edouard Philippe va faire campagne pour des candidats qu’il ne connaît pas, qu’il n’a pas choisis, qui sont d’ailleurs plutôt [en provenance] de la gauche, souvent issus des cabinets ministériels de la présidence Hollande (...) Il fera campagne pour la défaite de nos candidats (...) Nous constatons ce choix, nous le regrettons mais nous ne nous y arrêtons pas » - François Baroin

« Qu’Edouard Philippe ait accepté d’être nommé à Matignon est une curiosité. C’est la première fois qu’un chef de gouvernement accepte de devenir le chef d’une bataille législative avec des centaines de candidats qu’il n’a pas choisis et d’être responsable d’un projet politique qu’il n’a jamais défendu » - Jean-Christophe Lagarde

Aujourd’hui, bien malin qui pourrait prédire les conséquences et le devenir de la recomposition que tentent d’imposer deux des plus brillants sujets de notre classe politique. Les choix des français aux élections législatives à venir, la capacité de l’exécutif ensuite à porter les réformes qu’attend le pays, l’environnement international… les variables sont nombreuses qui pourront faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre.
 
A l’heure actuelle, nous vivons une séquence « tactique », au cours de laquelle les politiques se partagent, non pas tant en fonction de leurs idées ou de leurs partis, mais selon une ligne de fracture nouvelle et transitoire : les partisans et les opposants de la « recomposition ». Soulignons ici que ces derniers ont des arguments à faire valoir, autres que leur propre intérêt à la survie des anciens clivages. Les français ont besoin de se reconnaître dans des « codes politiques » clairs et lisibles. La recomposition « en marche », même si elle nous semble souhaitable, donne un peu le vertige, avouons-le : y a-t-il  d’autres alternatives que le populisme en cas d’échec ? Doit-on penser comme certains l’ont affirmé que « choisir Macron aujourd’hui, c’est choisir Le Pen en 2022 » ?

Espérons donc que se structure un nouveau clivage « républicain », rassemblant en face de la politique libérale et européenne de notre exécutif, les tenants d’une politique alternative « raisonnable », qui se doterait d’un programme de gouvernement crédible. Notre démocratie en a besoin, car elle a besoin d’un débat de qualité. La base idéologique de cette force d’opposition existe. Des tentatives ont existé par le passé de porter une ligne politique républicaine rassembleuse, moins européenne et moins libérale que celle qui a été suivie par nos gouvernants ces 25 dernières années : on en trouvera trace ici ou encore ici

Le propos de ce billet n’est pas de manifester notre préférence pour l’un ou l’autre de ces camps, simplement de rappeler qu’une démocratie qui ne sait proposer d’autre alternative que celle opposant la « seule politique possible » à la médiocrité programmatique des candidats populistes est une démocratie gravement malade. Espérons donc que la recomposition aille jusqu’à son terme, c’est-à-dire jusqu’à la structuration d’une opposition républicaine, sérieuse et légitime. Il en va de l’avenir de notre pays.

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