G7 : la fin de l'illusion multilatérale

A moins d'être partis vous réfugier au fin fond du Groenland sans emporter avec vous votre smartphone, vous n'avez pas pu passer à côté de l'issue tragi-comique du dernier G7. Sur fond de "guerre commerciale" (ou plus raisonnablement, de rétablissement de tarifs douaniers par les Etats-Unis sur l'acier et l'aluminium, appelant des réactions symétriques de leurs différents partenaires commerciaux), le G7 est laborieusement parvenu à une déclaration commune mettant en avant sa volonté de poursuivre la réduction des barrières tarifaires dans le cadre multilatéral de l'Organisation Mondiale du Commerce. 

C'était sans compter sur le revirement de dernière minute de Donald Trump qui, vexé par la déclaration finale du Premier Ministre canadien Justin Trudeau, a retiré la signature américaine du communiqué final, d'un simple tweet.

On aurait tort d'y voir le seul effet d'un coup de sang irrationnel de l'imprévisible Président américain, sur lequel son successeur reviendra le moment venu. On peut considérer les Trump de tout poil comme des fous irresponsables, on ne peut leur enlever cette capacité instinctive, quasi-animale, à sentir l'air du temps et à l'accélérer en l'épousant. L'Histoire ne ressert jamais deux fois les mêmes plats, et la tendance à la remise en cause du multilatéralisme me semble être une tendance lourde des sociétés à l'échelle mondiale.

Le multilatéralisme commercial, autrement dit la conduite d'un processus de négociations commerciales tendant à impliquer la majeure partie du globe dans une logique de négociation dépassant le cadre d'Etat à Etat, me semble être le volet économique du système international né des deux guerres mondiales et parachevé à la chute du mur de Berlin : un système basé sur l'idée de l'universalisme, sur l'idée de "communauté internationale", qui envisage l'humanité comme un tout devant trouver un système politique de gouvernance planétaire. Dans cette logique, l'émergence d'une régulation politique (l'ONU) et économique (l'OMC, le FMI) internationale est supposée constituer la première étape de mise en place d'une gouvernance mondiale plus intégrée, prenant progressivement le pas sur les institutions étatiques ou "régionales" (au sens que cette expression revêt dans la politique internationale, à savoir les grandes régions du monde, regroupements d'Etats ou Etats-régions comme les Etats-Unis ou la Chine).

Quiconque croit, comme moi, à l'universalité de l'espèce humaine, au primat de notre identité humaine sur notre identité nationale ou locale, au dépassement (non à l'effacement) des cultures particulières, ne peut qu'adhérer à cette belle idée. Mais voilà, force est de constater que le monde n'en est pas là. Cela fait quelques décennies maintenant que le processus multilatéral fait la double preuve de son impuissance et d'un grand rejet des peuples (y aurait-il un lien de cause à effet dans un sens ou dans l'autre?).

Trump prend acte de ces circonstances et met ses partenaires au défi du retour non seulement à une forme de protectionnisme, mais également à la négociation bilatérale. Le monde de demain est un monde de négociations bilatérales entre grandes régions du monde et plus de négociations multilatérales. Il en résulte pour l'Europe une grande difficulté, qui est aussi une chance pour elle et pour la France en particulier.

Grande difficulté, car le retour à l'approche bilatérale régionaliste est aussi le retour à la politique, que l'Europe a banni de son logiciel interne. Elle s'est construite sur la négation même de la politique, y compris entre ses membres, incapables d'accompagner l'ouverture de leurs frontières par une harmonisation sociale ou fiscale, ou  l'émergence d'une politique budgétaire propre. Autant dire que l'Europe n'est pas à l'aise dans un monde où la négociation commerciale doit se doubler d'un choix d'alliances politiques. Quel positionnement vis-à-vis de l'allié historique américain qui nous tourne aujourd'hui le dos ? Vis-à-vis de l'incontournable Chine ? La Russie est-elle définitivement perdue pour la cause ? etc.

Mais c'est aussi une chance, car si l'Europe affronte réellement ces questions, elle tient le levier d'une relance de son projet par l'émergence d'une vision politique. La France a évidemment un rôle considérable à jouer dans ce processus, dès lors que la Grande-Bretagne a décidé de quitter l'Union (décidément, plus ça va et plus j'ai du mal à y voir une perte, surtout du point de vue de mon propos du jour) et que l'Allemagne est toujours handicapée, qu'on le veuille ou non, par le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale qui l'empêche de devenir une réelle puissance politique.

Par un heureux hasard de l'Histoire, ce moment unique survient alors même que la France a porté à sa tête un Président capable d'endosser ce leadership. Let's go Manu !

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