Le traitement médiatique du Front National
Je voudrais évoquer dans ce
billet un sujet qui me tient à cœur, à savoir le traitement médiatique du Front
National. Mon sentiment général pourrait se résumer ainsi : de nombreux
journalistes, notamment télévisés, croyant affaiblir ou contrecarrer le Front
National en le critiquant plus ou moins ouvertement et subtilement, ne font en
réalité que le renforcer.
Le Front National a construit une
partie de son succès sur un discours anti-establishment, une notion attrape-tout
qui englobe dans une seule et même opprobre le pouvoir médiatique, les élites
administratives, le monde de la finance, « l’UMPS »… bref le fameux
système (dont je vous invite absolument à lire l’excellente interview sur Slate.fr). Soyons clair, quel que soit le caractère outrancier du propos,
si ce discours séduit autant, c’est qu’il comporte une part de vérité.
Au sein de l’intelligentsia
journalistique, c’est parfois à qui
brillera le plus dans l’exercice consistant à « se payer » le FN. Les
journalistes ne manquent pas, qui se sentent investis de la mission sacrée de
pourfendre le parti fondé par Jean-Marie Le Pen, vu comme le danger qui menace
la cohésion de notre société. Oui mais voilà, l’enfer est pavé de bonnes
intentions.
Ce faisant, certains
journalistes, qu’il est aisé de prendre en défaut d’objectivité ou en flagrant
délit d’approche partisane, ne font que crédibiliser le discours frontiste
consistant à dénoncer leur partialité. Nul besoin d’avoir une quelconque
sympathie pour Le Pen, Philippot et consorts pour partager ce constat : un
minimum d’objectivité y suffit.
Je pense que bon nombre de
journalistes ne se rendent pas compte de l’effet qu’ils produisent ainsi sur l’électeur
frontiste moyen, en particulier la frange la plus défavorisée : des
français qui se sentent démunis, abandonnés, touchés de plein fouet par le
chômage et les difficultés liées aux mutations économiques et sociales que
traverse notre pays. Des français qui vivent bien loin des plateaux de télé, et
qui se sentent insultés du mépris et de la hargne avec lequel leurs champions
sont traités. Leur rage et leur conviction n’en sont que plus fortes.
Il importe de bien comprendre
ceci : à près de 25% de l’électorat (un peu moins au premier tour de la
présidentielle, mais 24,8% aux européennes de 2014 et 27,1% aux régionales de
2015), le Front National n’est plus, depuis bien longtemps, ce parti
représentant principalement les idées de groupuscules néonazis ou xénophobes,
même s’il n’a pas coupé les ponts avec cette frange de ses membres : il s’est
étendu bien au-delà, et a fédéré ces dernières années d’honnêtes républicains
qui ne se retrouvaient plus dans l’offre politique « traditionnelle »
(on lira avec profit les analyses d’Emmanuel Todd et Hervé Le Bras à ce sujet, démontrant notamment la forte progression du FN dans des zones à faible présence d'immigrés, mais touchées de plein fouet par les mutations économiques).
C’est malheureux, mais c’est ainsi.
Il y a donc urgence à mon sens à
ce que les médias traitent désormais le Front National comme un parti comme un
autre, peu importe qu’il le soit ou non. Les leaders du FN sont partisans de la
stratégie du judoka : ils utilisent l’énergie déployée par leur adversaire
pour marquer des points. Plus d’énergie, plus de points !
Une illustration de mon propos :
qu’a-t-on constaté lors de la récente campagne présidentielle ? Tant que l’on
se trouvait en amont de la campagne officielle, la technique du judoka a
fonctionné à plein : Marine Le Pen parlait peu du fond, ses lieutenants
chantaient le refrain anti-establishment habituel. Elle était annoncée en tête
au 1er tour. Dès lors que l’on est entré en campagne officielle,
puis au second tour de la Présidentielle, elle a dû s’exposer de plus en plus
sur le fond, tandis que les journalistes étaient tenus à un traitement de plus
en plus neutre et égalitaire des différents candidats (malgré la honte absolue
du débat entre les cinq « grands candidats », entraînant la colère tout à fait justifiée, même si un peu surjouée, de Nicolas
Dupont-Aignan). On a vu le résultat : les sondages n’ont cessé de baisser,
les résultats ensuite se sont avérés décevants pour la candidate frontiste.
Puissent les journalistes tirer
les leçons de cette séquence politique et rester dans l’exercice le plus noble
de cette profession essentielle au bon fonctionnement démocratique, à savoir
relater les événements de manière neutre et objective : les faits, paroles
et actes des militants et représentants du Front National sont suffisamment
parlants par eux-mêmes, et nos concitoyens suffisamment matures pour les juger. A défaut d’un sursaut médiatique, au prochain coup, le FN risque
fort de nous mettre Ippon.
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