Remaniement : le plongeon ou le rebond ?

Comme le disait le grand philosophe Jacques Chirac, "les emmerdes, ça vole toujours en escadrille". Macron en fait l'expérience depuis l'affaire Benalla : les mauvaises séquences s'enchaînent pour notre Président.

Je ne reviendrai pas en détail sur le départ de Hulot, que j'avais personnellement senti venir assez tôt (ne jamais se priver d'un peu d'autosatisfaction), ni sur les conditions, circonstances et commentaires ayant entouré celui de Gérard Collomb : on vous en a suffisamment gavé à la télé, la radio et dans vos journaux.

Le remaniement qui s'en suit et qui nous a été annoncé hier (avant-hier quand vous me lirez, et il y a 10 ans et 2 jours quand vous me relirez dans 10 ans) revêt une double dimension. Je m'étendrai assez peu sur la première car elle a été fort bien analysée par votre télé, votre radio et vos journaux : recul de l'ouverture à la société civile, repli sur les fidèles ou les opportunistes (je ne suis pas de ceux qui pensent que ce sont toujours les mêmes), en tout cas ceux dont le sort est plus directement lié à l'avenir de Macron que des figures telles que Hulot ou Collomb. L'idée est sans doute de se rendre moins difficile le management de l'équipe gouvernementale. On verra à l'usage si ce que l'on gagne est supérieur à ce que l'on perd.

Le second volet qui me tient plus à coeur, et qui a été largement analysé par la presse spécialisée dans les collectivités territoriales (mais celle-là, nombre d'entre vous ne la lisent pas), est la volonté d'ouverture, réelle ou affichée, vis-à-vis du "monde territorial". Et toute l'importance de ce remaniement est contenue dans cette formule : "réelle ou affichée". Il ne s'agit pas d'un débat d'experts, mais d'un sujet de fond sur notre organisation politique, un sujet très révélateur du mal français.

Dans le gouvernement Philippe II, pas de ministre dédié aux collectivités. Dans le gouvernement Philippe III, c'est Jacqueline Gourault (Modem) qui récupère ce portefeuille en même temps que celui de la cohésion des territoires et que deux secrétaires d'Etat dont l'un, Sébastien Lecornu, est spécifiquement en charge desdites relations avec les collectivités. Pour avoir entendu Jacqueline Gourault à plusieurs reprises et encore très récemment à la convention nationale des intercommunalités à Deauville, il s'agit d'une personnalité de très haut niveau et profondément décentralisatrice dont la nomination à ce poste me réjouit personnellement.

Dans le même temps, le Président Macron nous annonce que ce remaniement n'entraîne aucun changement de cap, et nomme aux relations avec le Parlement un autre Modem, Marc Fesneau, également authentique décentralisateur et élu local. On en vient donc à se demander finalement si avec cette nouvelle équipe, dans la relation avec les territoires, il va falloir "faire" ou "faire passer", construire  une nouvelle orientation ou amadouer le monde local.

Car en effet et comme j'ai déjà pu l'écrire ici par exemple, Macron est fondamentalement jacobin. Je crois qu'il n'a réellement pas compris le monde local et l'importance de la décentralisation, hormis pour ce qui concerne quelques grandes métropoles, réels moteurs de l'économise française qu'il convient de doter des meilleurs leviers d'action. 

Les sujets de mécontentement du monde local sont nombreux et pas uniquement (même si principalement) financiers : contraintes normatives, posture bloquante des services déconcentrés de l'Etat... l'incapacité ce ce dernier à penser en termes de "libertés locales" plutôt qu'en termes de "décentralisation" (renvoyant à une notion de processus octroyé par l'Etat et réversible à tout moment, ce qui est le cas aujourd'hui) est révélateur d'une profonde crise de confiance entre "l'élite" et les territoires. Vous avez sans doute pu remarquer à quel point le clivage entre les métropoles et le monde rural, la "fracture territoriale" avait pris le pas sur la "fracture sociale" ou sur le clivage gauche-droite ces dernières années dans le débat public .

Mon propos n'est pas de prendre parti pour le rural contre l'urbain, ni pour l'urbain contre le rural. Il est simplement de dire qu'il revient aux acteurs locaux d'inventer partout les solutions les plus adaptées, et qu'il en va de l'avenir de notre pays, via l'épanouissement harmonieux du couple développement/cohésion. Mais profondément, viscéralement, Macron ne fait pas confiance au monde local, qu'il connaît mal. Et c'est à titre personnel mon principal point de désaccord avec sa politique.

Si ce remaniement est de ce point de vue un revirement, c'est une excellente nouvelle. Mais s'il s'agit de "faire passer", le monde local ne sera pas dupe, et ça ne passera pas.

Le mandat présidentiel se joue pour une bonne partie maintenant. On dira dans 3 ans à quel point ce moment a été, ou pas, une rupture, et pour ce faire on fera beaucoup plus référence à la cohésion territoriale qu'à l'affaire Benalla, en tout cas dans les analyses sérieuses.

Commentaires

  1. La décentralisation, vaste sujet. Concrètement, qu'est-ce qui pourrait / devrait être décentralisé en priorité ? La question mériterait un article (un livre) à part entière, mais l'analyse synthétique est autorisée...

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  2. Merci pour votre commentaire, la question à mon sens n'est pas (ou à la marge) ce qui doit être décentralisé en termes de liste de compétences ou de missions : le panier est déjà bien garni. La question est plutôt comment on décentralise : avec quel niveau d'autonomie et de responsabilité, quelle réelle liberté d'action, quel lien entre l'action locale et le citoyen-contribuable local, et surtout quelle capacité à inventer de manière pérenne des schémas différenciés sur le territoire national. Aujourd'hui il existe dans le droit français un droit à l'expérimentation pour les collectivités, mais à l'issue de 5 ans d'expérimentation maximum, c'est soit l'abandon soit la généralisation : comme si la meilleure solution pour la Corrèze l'était aussi nécessairement pour la Seine-Saint-Denis !

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  3. Pour ce qui est de la littérature sur la décentralisation, ce n'est pas ça qui manque...

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