Macron, le budget et le malentendu libéral

Lors de la dernière présidentielle, l'électorat français a saisi l'opportunité qui lui était donnée d'enfin faire sa révolution et forcer la mise en cohérence de l'offre politique avec ses aspirations profondes. Ce séisme n'a pas fini de produire ses effets, on le mesure chaque jour un peu plus, par exemple en suivant l'élection à la présidence des Républicains, j'y reviendrai dans un prochain billet.

Par conviction profonde ou par nécessité de survie, la classe politique prend donc acte de cette demande de renouveau intellectuel et programmatique. Toujours à la traîne en revanche, les médias, audiovisuels en particulier, peinent à prendre la pleine mesure du changement en cours. Certains journalistes parmi les plus confirmés ou supposés tels continuent ainsi à nous sortir les vieilles rengaines de l'ancien clivage. Témoin, les commentaires désespérants sur le projet de budget 2018.

Le discours ambiant annonce (ou dénonce, c'est selon) un projet de budget qui "penche à droite", en raison des "cadeaux faits aux riches". Un exemple avec cet édito du Monde du 7 octobre. Ce budget est censé être le prolongement naturel d'une réforme du droit du travail qui vise à donner des gages au "patronat", la supposée classe exploitante qui opprime les salariés.

On retrouve pourtant de nombreux marqueurs "de gauche" dans la politique fiscale et sociale de Macron, que ce soit sur les nouvelles mesures ou le maintien de mesures adoptées lors du quinquennat précédent. Notons par exemple la suppression de la taxe d'habitation pour 80% des ménages les moins aisés, que j'évoquais ici en juin, ou encore le maintien du plafonnement du quotient familial tel que diminué lors de la mandature Hollande pour le calcul de l'impôt sur le revenu. Si l'on y ajoute l'absence de rétablissement de l'universalité des allocations familiales (les allocations familiales, autrefois d'un montant identique quel que soit le revenu, ont été rendues dégressives sous Hollande), il me semble que l'on a tous les ingrédients d'une vraie philosophie fiscalo-sociale de gauche à l'ancienne. L'Elysée comme Matignon semblent d'ailleurs laisser la porte ouverte au renforcement de cette dégressivité des allocations familiales proposée récemment par une députée LREM.

Alors, d'où vient que l'on nous vende un Président qui se "droitise", voire qui tombe le masque maintenant élu, adoptant des mesures (sur l'ISF notamment) qui visent supposément à favoriser la classe dominante, ses anciens amis de Rotschild and co (le beau symbole médiatique prêt à l'usage, on aurait tort de s'en priver) ? A mon avis, du grand malentendu français sur la pensée libérale. Essayons d'y voir un peu plus clair.

En France, la pensée de gauche s'est confondue depuis plusieurs décennies avec l'étatisme et l'antilibéralisme. En somme, plus il y a d'intervention de l'Etat (par la fiscalité, la redistribution et la contrainte juridique), moins il y a de liberté "formelle", plus il y a d'égalité et de liberté "réelle". Cette idée est issue du postulat marxiste que la liberté décrétée et garantie par les lois est finalement celle "du renard libre dans le poulailler libre", autrement dit celle du plus fort, et maintient le plus grand nombre dans la soumission. C'est une idée importante qui mérite réflexion (que je ne mènerai pas dans ce billet, cela nous emmènerait un peu loin).

Pour autant, être contre cette idée, ce n'est pas nécessairement être "de droite". Macron en est la preuve. Une politique libérale du point de vue de la réglementation économique peut tout à fait s'articuler avec une politique de gauche classique d'un point de vue fiscal (dans un pays qui reste, je le rappelle, un des premiers au monde pour le taux de prélèvements obligatoires : le projet de budget 2018 "ultralibéral de droite" est loin de remettre en question cette situation). Avec quel objectif ? Libérer les énergies afin de permettre de retrouver la croissance et ainsi alimenter une politique de redistribution. De ce point de vue, l'article du Monde mentionné plus haut est typique de cette vieille tendance à vouloir partager le gâteau avant de l'avoir préparé, dont on croyait la gauche débarrassée.

Mais alors, pourquoi le "cadeau aux riches" sur l'ISF ? Macron, comme toute une génération de français, a compris que l'économie ce n'était pas l'art de la contrainte, mais la science des incitations. En sortant les placement financiers de l'assiette de l'ISF, certes à l'instant T c'est un bonus fiscal important pour les plus aisés. Mais c'est surtout une incitation pour ceux dont la richesse est avant tout immobilière à placer leur argent dans "l'économie réelle", à favoriser le risque au détriment de la rente.

Au final je ne vois pas vraiment ce que la famille "bourgeoise de droite traditionnelle" peut trouver de bon à prendre dans la politique de Macron : pas d'ambition de politique familiale, pas de baisse de la taxation du patrimoine immobilier, pas de révision non plus de la fiscalité de la transmission du patrimoine, des signes d'ouverture sur les questions de société (bioéthique)... De ce point de vue la "droite catho" a encore de beaux jours devant elle.

Je ne vois pas non plus chez Macron une tendance, au-delà des clivages, à favoriser les riches "de droite comme de gauche" au détriment d'une classe exploitée. Le rêve de Macron, c'est plutôt celui dans lequel la réussite est à portée de chacun. Je le crois sincèrement convaincu qu'un libéralisme économique affirmé est la condition d'épanouissement et de réussite du plus grand nombre. Au fond, Macron pense que tout le monde peut (et doit aspirer à) devenir le prochain Donald Trump Mark Zuckerberg ou Xavier Niel grâce à la suppression de la contrainte réglementaire. En cela le libéralisme n'est ni de gauche ni de droite, il vise à l'accomplissement de chacun et peut s'accommoder de nombreux cadres de pensée en termes de questions sociales ou de redistribution fiscale.

Je dois dire que cette foi macronienne est à la fois attirante et inquiétante. Comme le disait très justement il y a quelques jours Jean-Thomas Lesueur de l'Institut Thomas More dans l'excellent 28 minutes d'Arte, Macron est davantage "pour la réussite de chacun que pour la réussite de tous". Du libéralisme à l'individualisme il y a un pas peut-être franchi par Macron et qui peut inquiéter. Analysons-le, mais de grâce, que l'on arrête de nous servir les vieux cadres de pensée !

Pour aller plus loin, je vous recommande l'excellente Histoire intellectuelle du libéralisme de Pierre Manent, disponible en poche : la seule lecture du résumé sur le site des éditions Fayard montre bien que ce courant est beaucoup plus complexe et nuancé que la caricature qui nous en est bien souvent présentée.

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