Macron, le dernier Président

J'étais un peu passé à côté de ce débat de la campagne présidentielle qui ressort aujourd'hui : Emmanuel Macron veut rétablir la chasse Présidentielle à Chambord, pour en faire un instrument du rayonnement de la France. Pleinement jupitérienne, cette position que l'on pourrait considérer anecdotique est pour moi révélatrice de la mutation que le Président est en train d'apporter à la vie politique française.

Depuis son élection, j'ai à plusieurs reprises trouvé de nombreux traits communs entre Macron et certains de nos anciens Présidents : De Gaulle, Mitterrand et même Sarkozy. Mais la comparaison avec chacun avait ses limites et je ne parvenais pas complètement à "ranger" Macron. Jusqu'à ce que je découvre la série "Versailles", et la lumière fut : Macron, c'est le Roi Soleil.

On aurait tort de prendre cette posture quasi monarchique pour une simple stratégie de communication. Nos démocraties évoluent sans cesse, et il existe une réelle tendance de fond, sinon vers la fin de la démocratie, du moins vers une "démocratie de la bienveillance" qui ne consisterait pas tant dans une réelle participation à la décision que dans la diffusion d'un message "rassurant et expert" par le pouvoir politique. Emmanuel Todd a très bien décrit cette tendance technocratique il y a 10 ans déjà dans Après la démocratie. Si son ouvrage se focalise sur les élites et leur surdité vis-à-vis des aspirations populaires, il traite moins de l'autre versant du sujet, à savoir une indifférence croissante de la population pour la politique ; indifférence qui n'est pas seulement le fait d'un ras-le-bol vis-à-vis de la classe dirigeante mais également la traduction d'un individualisme surdéveloppé.

Au fond, les attentes de nos concitoyens semblent se tourner de plus en plus vers la satisfaction individuelle et de moins en moins vers un projet de vie en société. On a beaucoup parlé pendant la campagne de la proposition de revenu universel de Benoît Hamon, mais il faut savoir que cette idée n'est pas seulement portée par la "gauche de la gauche" : le philosophe libéral Gaspard Koenig dont je vous ai déjà parlé sur ce blog en est par exemple un grand défenseur (et le dessin sous ce lien est saisissant !). Il faut simplement y ajouter un Iphone. Avec le revenu universel et l'Iphone pour tous - du pain et des jeux ! un deal que nombre de nos concitoyens ne refuseraient pas - on achève de réaliser la prédiction tocquevillienne que j'ai déjà eu plaisir à citer sur ce blog : 

"Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres: ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas; il les touche et ne les sent point; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul, et s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie.

Au-dessus de ceux-la s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?"

Du côté du politique, par ailleurs, la coupure démocratique se manifeste par un sentiment de détention du savoir, d'une part, et d'urgence des situations, d'autre part : pour traiter l'urgence climatique, par exemple, on entendra de plus en plus souvent les arguments du type "on n'a pas le temps de discuter". Avouons-le, l'état d'avancement des négociations et des politiques climatiques est assez inquiétant.

La bienveillance supplantera donc progressivement la démocratie, avec les meilleures intentions du monde : dormez tranquilles braves gens, on s'occupe de tout ! Des grands sujets en tout cas, on nous laissera toujours discuter des bouts de trottoir en conseil de quartier. Avouons-le, nous en sommes souvent les complices consentants, acteurs de notre servitude volontaire

Macron dernier Président avant transition monarchique, le titre de cet article est certes provocateur. Mais il me semble qu'il faut lire la communication jupitérienne de notre Président à l'aune de ces évolutions de fond et pas comme un simple style de gouvernement. Autorité et bienveillance, épanouissement individuel hors de la sphère politique, n'est-ce pas la définition même du cocktail macronien ?

La politique a besoin de symboles pour exister. Les ors de la République, la chasse royale, le renvoi du chef d'Etat-major des armées Pierre de Villiers, la poignée de main virile à Trump, l'interview-révérence avec Delahousse à l'Elysée... tout cela fait sens au regard de l'incarnation monarchique du pouvoir que Macron revendique de plus en plus ostensiblement. Sa grande intelligence a été de capter l'air du temps, sa côte de popularité démontre que cette posture est validée par les français.

Prenons garde toutefois à ne pas nous laisser endormir. La bienveillance comme sentiment, c'est sympathique. Comme régime politique, j'ai des doutes. Et je ne suis pas le seul. Tout ça pourrait mal finir. Pas par la faute de Macron, qui n'est que l'expression de l'évolution de nos sociétés. Mais parce que chaque fois que les hommes ont renoncé à tenter de vivre ensemble, ça s'est mal terminé. Alors n'abandonnons pas trop tôt la partie.

Commentaires

  1. Notons tout d'abord que les démocraties les plus abouties - celles du nord de l'Europe - sont des monarchies constitutionnelles. Les droites frnçaises attendent des "chefs" qui cheffent comme le prétendait Chirac ; la gauche sociale-libérale rocardo-strausskahnienne un responsable qui prend des décisions difficiles permettant de retrouver la croissance d'avant 1973 et les grenouilles des gauches de la gauche, un roi abcès de fixation pour se persuader qu'elles sont unies dans leur combat contre le capitalisme. On ne sait pas si Macron se prend pour le Roi-Soleil ou s'il a compris qu'il devait jouer ce rôle pour répondre aux attentes des français.? Ses sorties nombreuses et parfois courageuses lui permettent peut-être de rester au contact de la population française. Je lisais dans le mode le portrait d'un de ses proches François Sureau, personnage hauit en couleur et en trajectoires, qui ne semble pas avoir sa langue dans la poche et qui saura lui parler franchement pour le faire réattérrir dans le réel. Pour le moment la France est gouvernée par quelqu'un qui ne traîne pas de casseroles. Ne boudons pas notre plaisir ! Mais soyons vigilants !

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  2. Interressant aussi le papier de Raphaaêl Enthoven dans le Figaro portant sur la notion tocquevillienne de Tyrannie de la majorité qu'il renomme "Parti unanime".
    « En Amérique, écrit Tocqueville, la majorité trace un cercle formidable autour de la pensée. Au-dedans de ces limites, l'écrivain est libre ; mais malheur à lui s'il ose en sortir… » Il restera parmi les hommes mais il «perdra ses droits à l'humanité»

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