Service public

Ce jeudi 22 mars journée de grève nationale pour la défense du service public des fonctionnaires et des cheminots. L'occasion d'un bon vieux débat caricatural à la française comme on les aime.

D'un côté, les syndicats et leur mot d'ordre : la défense du service public. De l'autre, l'Etat et son mot d'ordre : la défense du service public. D'où vient qu'avec un objectif identique, les deux parties aient des visions si diamétralement opposées ? Immobilisme et corporatisme des fonctionnaires et cheminots, diront les uns. Mensonge et manipulation de l'Etat (ultra-libéral-au-service-des-riches-et-des-puissants), dirons les autres. Et si la réalité était quelque part entre les deux ? Pour tenter d'y voir plus clair, cessons quelques instants d'opposer les personnes pour confronter deux grands types de discours sur les services publics : je force délibérément le trait mais précise que la position des acteurs est bien évidemment plus nuancée.

D'un côté, le discours conservateur tend à assimiler de manière totalement excessive la question du statut des fonctionnaires et la qualité du service public. Le statut de la fonction publique a une légitimité historique fondée sur la garantie de la neutralité de l'action publique, ce n'est pas un système de passe-droits et de privilèges même s'il en comporte certains des défauts. Pour autant, le monde évolue, la sphère publique a considérablement étendu son champ d'action et les exigences de la gestion des ressources humaines des administrations ne sont plus les mêmes : souplesse, polyvalence, recherche de profils particuliers ou de passerelles public-privé... on ne recrute pas un directeur du développement économique d'une grande agglomération avec le même cahier des charges, les mêmes contraintes et exigences qu'un magistrat ou un enseignant. Et sur la question des modes de gestion (la question de la délégation au privé), la réalité est souvent plus nuancée que les discours tenus de part et d'autre, mais il est certain que :
  • Beaucoup de métiers non "régaliens" ne sont pas publics "par essence"
  • Il faut distinguer la notion de service public et la notion de gestion : l'autorité publique peut définir des obligations de service public fortes et les financer sans pour autant gérer par elle-même d'un point de vue opérationnel
  • La mise en concurrence peut avoir des vertus lorsqu'elle est bien organisée et surtout que l'autorité publique remplit correctement son rôle de contrôle des obligations du prestataire
Ceux qui ont regardé il y a quelques semaines l'émission "cash investigation" consacrée au service de l'eau à Nîmes doivent se poser la question : faut-il conclure que le délégataire est un horrible capitaliste sans vergogne qui ne songe qu'à s'enrichir sur le dos du citoyen ? Ou plutôt de manière plus nuancée, que toute entreprise a certes pour objectif le profit, mais qu'un contrôle appuyé de la collectivité doit permettre de trouver le point d'équilibre entre la rentabilité pour le délégataire, la performance du service et la bonne gestion des derniers publics ?

De l'autre côté, le discours parfois excessif de la rationalisation confondue à tort avec la performance. Dans un contexte de raréfaction de la ressource financière (diminution des dotations de l'Etat pour ce qui concerne les collectivités, situation budgétaire intenable pour celui-là), la sphère publique développe depuis longtemps des outils de mesure de la performance de ses services publics : satisfaction des usagers, évaluation des résultats, analyses de coût, autant d'outils indispensables pour ne pas produire du service public "en aveugle". A son niveau de généralité, la démarche Action Publique 2022 semble assez incontestable dans sa présentation de ce point de vue.

Pour autant, les excès de ce discours sont facilement identifiables. A trop focaliser sur "les ratios", ils finissent par devenir en eux-mêmes les objectifs. Exemple type : une fois que l'on a déterminé qu'un service public donné (restauration scolaire, piscine par exemple) ne s'autofinançait (par ses recettes propres, à savoir les tarifs) qu'à X%, la tentation est grande de vouloir renforcer sa "rentabilité" et diminuer son "coût" (autrement dit la part financée par l'impôt). C'est oublier que le coût, c'est le prix de la solidarité. Le financement intégral des services publics par le tarif, autrement dit la fin de l'impôt, c'est un grand coup porté à la solidarité, et ce même s'il existe pour de nombreux services des tarifications "sociales". En modulant par exemple les tarifs de la cantine scolaire en fonction du quotient familial, on organise une solidarité entre familles avec enfants. Mais en maintenant une part d'impôt dans le financement de ce service, on étend cette solidarité aux personnes qui n'ont pas, pas encore ou plus d'enfants, autrement dit on mène une politique familiale et de solidarité intergénérationnelle.

Comment situer les débats actuels entre ces deux discours ? Après avoir montré les excès des discours "théoriques", rendons justice aux acteurs par deux exemples. Les situations décrites par les intervenantes en EHPAD ("maisons de retraite") sont objectivement alarmantes en termes de soins délivrés aux personnes âgées. De l'autre côté, le rapport Spinetta sur la réforme du transport ferroviaire, dont on a beaucoup parlé ces derniers temps, ne porte pas la vision caricaturale qu'on lui prête : identifiant par exemple un ratio problématique (15% des investissements consacrés à 2% des voyageurs), il ne propose pas pour autant la suppression des transports publics dans les zones "non rentables" (rurales) mais la conduite d'une réflexion sur les modes de transports alternatifs permettant à la fois une diminution du coût et une meilleure adaptation du service aux besoins.

Le fond du sujet me semble être ailleurs. Comme l'a très justement dit François Fillon (si, si !) pendant la campagne présidentielle, il faut arrêter de laisser penser que tous les fonctionnaires sont des infirmières, des policiers ou des enseignants. Le même Fillon annonçait vouloir revenir au nombre de fonctionnaires existant dans les années 90, une époque où comme il le disait lui-même, la France n'était pas un pays sous-administré.

Que l'on arrête de tenir des revendications corporatistes assimilant statut et service public, c'est nécessaire. Que l'on ne gouverne pas le service public par le ratio, tout en continuant d'en mesurer la performance de gestion, c'est indispensable. Mais penchons-nous aussi sérieusement sur la modernisation technique, numérique et managériale des administrations publiques et de l'Etat en particulier, dans cette partie moins visible de l'action publique que constitue "l'administration administrante". Il y a quelques mois, dans le cadre de je ne sais plus quelle démarche administrative, j'ai dû me rendre aux impôts pour acheter un timbre fiscal. J'ai fait remarquer à mon interlocuteur à quel point cela me semblait archaïque en 2017 de devoir encore se déplacer pour ce type de démarche, et accessoirement que lui passe du temps à m'ouvrir son petit classeur et me sortir mes timbres (eh oui, car souvenez-vous, il y en a toujours plusieurs pour parvenir au montant demandé, sinon ce n'est pas drôle), il en a parfaitement convenu. Depuis le timbre fiscal a été dématérialisé, mais n'est-ce pas avec 5 ou 10 ans de retard, alors que je paie mes impôts locaux par flashcode depuis plusieurs années ? Nous avons tous à l'esprit des expériences de cette nature.

Sur le plan managérial, de nombreux rapports ont dénoncé, sans suite visible, l'absence de politique managériale globale de l'Etat, de vue d'ensemble de ses ressources humaines et des possibilités de les réaffecter. On recrute pour de nouvelles fonctions parfaitement utiles (enfin j'espère) mais on ne supprime pas les fonctions devenues inutiles. On maintient des services ou des administrations dont la vocation pose de plus en plus question (pour les spécialistes des collectivités locales : le contrôle de légalité ou le comptable public).

Il existe donc une voie, politiquement étroite mais techniquement très large (un boulevard, une autoroute !) pour réformer l'action publique en conciliant à la fois l'amélioration du service et la réduction des coûts. Pour citer un autre ancien Premier Ministre, "la route est droite, mais la pente est raide". Au boulot !

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