Gilets jaunes : l'exécutif joue une partie serrée ce week-end

Le mouvement de protestation des gilets jaunes a connu ces derniers jours deux infléchissements majeurs dont on attend de voir l'impact réel :
  • La division de plus en plus marquée en son sein, entre des partisans de la négociation et des individus beaucoup plus radicaux, ces derniers ayant été jusqu'à menacer de mort les premiers s'ils se rendaient à Matignon pour échanger avec le Premier Ministre
  • Les concessions du gouvernement supprimant la taxe carburant du prochain projet de loi  de finances
Alors que le mouvement semble faiblir dans sa version quotidienne et décentralisée, l'exécutif joue une partie très serrée ce week-end à Paris.

Pour préparer en quelque sorte le terrain, le Premier Ministre Edouard Philippe vient de s'exprimer au JT de TF1, avec un discours très clair et de grande qualité, un véritable discours d'homme d'Etat pour lequel il convient de lui rendre hommage. Chaque mot était précisément pesé et prenait place dans une stratégie qui me semble la meilleure à suivre et que l'on peut décliner comme suit :
  • Partant du principe que des concessions ont été faites et que le mouvement est divisé, le Premier Ministre, se prévalant d'ailleurs de l'appui de la majeure partie de la classe politique et des syndicats, appelle à ne pas manifester ce week-end et assimile très explicitement le public des futurs manifestants aux casseurs et aux groupuscules extrémistes
  • Ce faisant, il excuse par avance le positionnement musclé des forces de l'ordre auquel nous risquons fort d'assister : il ne relèvera en aucun cas d'une réaction autoritaire et sourde d'un pouvoir aux abois s'attaquant à ses propres concitoyens désespérés et incompris, mais d'une défense solide des valeurs républicaines face à des groupuscules qui veulent diviser le pays
  • Edouard Philippe a par ailleurs très justement rappelé que la colère qui s'exprime aujourd'hui "vient de loin" : le gouvernement a peut-être créé une étincelle, il n'a pas rempli le baril de pétrole (si j'ose dire) qui a pris feu à cette occasion. Il a également souligné les défis auxquels était confronté notre pays. Manière de rappeler que l'exécutif gère une crise dont il est loin d'être l'unique ou même le principal responsable.
Ce faisant, Edouard Philippe prépare l'après gilets jaunes, en tout cas l'après dimanche prochain, en refusant très clairement de se positionner sur le champ de la reculade ou du "virage social" (avec des gros, des énormes guillemets) ; pas seulement car si virage il y avait, il se ferait probablement sans lui, mais également car il espère sortir victorieux de la séquence de ce week-end, avec une mobilisation qui apparaîtrait désormais très clairement - c'est en tout cas le souhait et le pari de l'exécutif - comme celle d'une minorité extrémiste. 

C'est ce qui explique que sur le fond, le discours du Premier Ministre ne change pas quant à la politique gouvernementale. On a pu voir par ailleurs avec quelle réticence il avait fini par admettre que la taxe carburant n'était plus seulement suspendue, mais retirée "du projet de loi de finances pour 2019" ; sous-entendu possiblement réintroduite à l'avenir. "Aucune taxe ne vaut qu'on divise le pays" : la taxe n'est pas retirée car elle est mauvaise, elle est retirée car elle a débouché sur une insurrection. Edouard Philippe maintient le cap car il estime qu'il est bon, qu'il n'a pas de planche à billets pour assurer une solidarité indéfinie, que le défi de la transition écologique ne doit pas être abandonné et que seul le travail et le redressement économique permettront à notre pays de s'en sortir.

A court terme, la séquence me semble tactiquement très bien jouée. Si ce gouvernement survit à la crise (et il faut le souhaiter, car on peut légitimement avoir peur de ce qui se passerait dans le cas contraire), il me semble toutefois qu'à moyen terme, quelques mesures fortes s'imposeront, la stratégie gouvernementale ne pouvant se limiter à "passons Noël, organisons une grande concertation et repartons comme avant". Je vois à minima les points suivants :
  • Autant je ne suis pas pour le rétablissement de l'ancien ISF (je précise que je ne le payais pas !), car la taxation du patrimoine mobilier et notamment de l'actionnariat peut avoir des effets anti-économiques, autant il me semble difficile au point où nous en sommes d'échapper à une mesure symbolique qui pourrait être l'augmentation du taux et/ou l'abaissement du seuil de l'impôt sur la fortune immobilière (vous savez, cet impôt dont tout le monde semble avoir oublié l'existence, qui est venu remplacer l'ISF). Il n'y a pas grand chose de moins productif économiquement que la détention du patrimoine immobilier. S'il faut à tout prix "taxer les riches", taxons la rente plutôt que l'activité ou l'investissement productif.
  • Vraiment s'attaquer aux dépenses publiques inutiles. Le débat sur les dépenses publiques lors de la dernière présidentielle a été véritablement consternant, ne se focalisant que sur les services publics essentiels. Il y a pourtant tant de dépenses inutiles voire contre-productives dont un grand nombre de nos concitoyens n'imaginent sans doute même pas l'existence... On peut réduire la dépense sans réduire le service public.
  • Par ce biais, enclencher le cercle vertueux de la réduction de la dette. Entendons-nous bien, l'endettement public est un phénomène normal ; mais aujourd'hui les seuls intérêts de la dette se disputent avec l'Education Nationale la place de premier poste de dépenses du budget de l'Etat (voilà bien une situation dont on ne peut rendre le gouvernement actuel responsable). Ce n'est pas une question d'orientation politique comme on essaie trop souvent de nous le faire croire, c'est une pure question de gestion.
  • Investir massivement dans la transition écologique et porter ce projet comme priorité numéro 1 au niveau européen : c'est à la fois un vecteur de croissance, de mieux vivre, d'indépendance énergétique et géopolitique... et cela peut surtout être ce ciment, ce projet commun qui nous fait tant défaut aujourd'hui et qui nous amène à constater à quel point notre société est fracturée : sans le sentiment d'un avenir commun, le repli sur les situations individuelles est inévitable, nous le constatons cruellement ces jours-ci
Après les manifestations à venir ce WE, ce peut être l'apaisement ou le chaos, l'ultime chance d'une lente reconstruction d'un lien de confiance entre le peuple et les élites ou l'enfoncement dans les sables mouvants du populisme, de la division et du déclassement.

Le peuple français aime à croire et à dire qu'il possède une sorte de génie face à l'Histoire, une singularité qui le distinguerait des autres et lui permettrait de se redresser dans les moments critiques. Si ce truc qu'on nous a appris à l'école est vrai, le moment serait particulièrement bien choisi pour le montrer.

Commentaires

  1. Sur la question de la fiscalité :
    l'impôt sur la fortune immobilière ne devrait-il pas cibler en particulier l'immobilier hors résidence principale ? Quid des oeuvres d'art, qui ne sont pas extrêmement "productives", même si cela nous amène vers un débat beaucoup plus large sur le rôle de l'art dans la société ?
    Ne faut-il pas taxer plus la succession, à l'image de ce que fait l'Etat californien ? En quelque sorte taxer plus le "bien-né" que le travailleur ?
    Sur les dépenses publiques :
    Des exemples de dépenses inutiles ?
    Ne faut-il pas également s'attaquer à la (attention, mot tabou) productivité des services publics, à grande et à petite échelle ? par exemple, la télévision et la radio publiques doivent-elles embaucher des intermittents pour des fonctions subalternes ou avoir des salariés à plein temps et étendre leurs missions ? Les intermittents coûtent moins cher en coût direct, mais coûtent-ils moins chers à l'Etat ?

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    1. Bonjour,

      Merci pour votre commentaire. La résidence principale fait déjà l'objet d'un abattement de 30% sur l'IFI, mais en effet si on baisse le seuil on pourrait augmenter cet abattement.

      Pour les oeuvres d'art je ne connais pas leur statut fiscal mais elles ne me semblent pas relever de l'immobilier ?

      A voir pour la succession c'est une réflexion intéressante.

      Des exemples de dépenses publiques inutiles ou très largement perfectibles : le contrôle de légalité, le fonctionnement des centres de gestion et du centre national de la fonction publique territoriale... ce sont des sujets d'initiés qui sont très loin du débat public.

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