RIC hunters

Le mouvement des gilets jaunes est parti d'une revendication sur le pouvoir d'achat, mais a très vite étendu le champ de ses demandes à ce que l'on pourrait regrouper sous le thème du "gouverner autrement". Mesure emblématique de l'arsenal participatif déployé par les gilets jaunes : le référendum d'initiative citoyenne ou "RIC".

RIC

Le sujet des modes d'expression de la volonté populaire est aussi vieux que la philosophie politique elle-même (on peut remonter à Platon et Aristote), et a fait l'objet de nombreuses analyses et expériences plus ou moins convaincantes au cours des siècles. Si on devait essayer d'en tirer quelques enseignements par un énorme raccourci, disons qu'en la matière l'enfer s'est parfois révélé pavé de bonnes intentions, que "plus de démocratie" n'est pas forcément toujours le signe d'une "démocratie meilleure", et que depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les Etats occidentaux ont construit un compromis plutôt basé sur la limitation de l'expression populaire (qui venait de montrer qu'elle était capable de mettre en place le régime nazi) par l'instauration de régimes pluralistes basés sur la notion d'équilibre des pouvoirs et de sanctuarisation à un niveau constitutionnel des droits de l'homme, supposés donc hors de portée de la volonté d'une assemblée législative.

Depuis plusieurs décennies toutefois, le système représentatif est contesté sur le plan de sa légitimité par divers courants intellectuels et politiques appelant à la mise en place d'une démocratie participative, à minima complément "annexe" à la démocratie représentative, censé la contrebalancer. L'apparition de cette revendication dans le mouvement des gilets jaunes n'a donc rien de nouveau, on peut même se demander quelle frange des gilets jaunes elle concerne réellement et s'il n'y a pas un peu de récupération là-dessous (sont-ce les mêmes gilets jaunes qui revendiquent la suppression de la taxe carbone, la restauration de l'ISF et le référendum d'initiative citoyenne ? Pour partie sans doute, mais difficile à dire véritablement). On constate en tout cas une similitude de revendication, émanant pourtant d'une population sociologiquement très différente, au regard de ce que l'on pouvait entendre des demandes du mouvement "nuit debout".

Mais qu'y a-t-il au fond derrière la demande de ces "RIC hunters" ? (Pour ceux à qui ce jeu de mots de haute volée échapperait pour des raisons culturelles ou générationnelles, j'ai vérifié, la recherche google sur ces termes et avec cette orthographe vous amènera bien vers le "vrai"). Lorsque l'on demande à ce que les procédures de décision soient amendées, c'est que l'on souhaite que le contenu le soit également... La demande du RIC est donc l'expression la plus aboutie de la "crise de la représentation", la revendication logique d'une population qui se reconnaît de moins en moins dans ses élites auxquelles elle reproche de prendre des décisions "de classe".

Je suis personnellement assez favorable à une forme de revitalisation de notre système démocratique un peu à bout de souffle. On devrait toutefois se méfier d'une trop grande naïveté dans la mobilisation de ce type d'instrument démocratique. Encore une fois, le peuple dans ses mouvements passionnés peut manquer de discernement et entraîner le meilleur comme le pire. Je n'ai pas d'avis complètement arrêté sur les conditions détaillées de mise en place d'un RIC (domaines de compétence concernés, investissement ou non du champ constitutionnel, conditions pratiques...), mais il me semble qu'un encadrement fort est malgré tout à envisager, dans un pays qui a historiquement eu des rapports compliqués avec le référendum et une tendance naturelle à avancer par la révolution plus que par la réforme ; un pays qui par ailleurs manque cruellement de culture économique.

Il serait bon une fois de plus de s'inspirer de la sagesse de Tocqueville, et commencer par réserver cet outil au niveau local, comme une "mise en test" :

"C’est pourtant dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir. Sans institutions communales une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n’a pas l’esprit de la liberté. Des passions passagères, des intérêts d’un moment, le hasard des circonstances, peuvent lui donner les formes extérieures de l’indépendance ; mais le despotisme refoulé dans l’intérieur du corps social reparaît tôt ou tard à la surface."

A cette condition, on pourrait instituer progressivement une forme de démocratie plus participative dans notre pays, en mettant à l'abri des passions populaires les sujets mettant en jeu les fondamentaux de notre pacte républicain, économique et social. Ce me semble en tout cas être la voix de la prudence suivie par le Premier Ministre Édouard Philippe (Interview aux Echos du 17 décembre) qui a dit à la fois tout et rien sur le sujet (les mauvaises langues diront normal pour un énarque) : "Le référendum peut être un bon instrument dans une démocratie, mais pas sur n'importe quel sujet ni dans n'importe quelles conditions". Saine prudence en préliminaire aux discussions.

Commentaires

  1. Sur les conditions pratiques, j'ai entendu cette semaine à la radio que la Californie limitait l'appel au référendum (ou était-ce le vote ?) aux votants des dernières élections. Ce n'est pas simple à mettre en oeuvre pratiquement, mais quand on parle de revitalisation de notre démocratie....

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Macron – Philippe, un ticket chic et choc à la tête du Pays

Mon analyse de la séquence présidentielle

Remaniement : le plongeon ou le rebond ?