Chirac ou l'ambiguïté française

Hello chers lecteurs,

Me voici de retour après de longs mois d'absence, actualité oblige... Alors que la crise des gilets jaunes a marqué un tournant dans le mandat, et l'entrée dans la phase 2, c'est-à-dire la préparation de la prochaine élection présidentielle et le net ralentissement des réformes, voilà que le décès du Président Chirac, le 26 septembre dernier, est venu nous sortir de notre torpeur politique.

Le moment a été assez sidérant, et sans doute très révélateur des ambiguïtés françaises. Voilà que Jacques Chirac, jusqu'alors considéré par le plus grand nombre comme un "roi fainéant", qui a incarné voire personnifié (avec Lionel Jospin d'ailleurs, en particulier pendant la cohabitation) l'impuissance en politique, un Président-girouette sans vision de long terme, voilà donc que Jacques Chirac devient un grand homme, le meilleur Président de la Vème République avec le Général de Gaulle, et une sorte de "grand-père des français" qui nous renvoie à une image nostalgique de l'unité nationale et du lien entre le chef de l'Etat et "le terroir", pour faire court.

Je ne reviendrai pas sur son bilan politique pour lequel je vous renvoie à l'excellent article d'Eric Le Boucher paru sur le site Slate. Dans le détail, on partage ou pas, mais dans l'ensemble, on doit se souvenir que Chirac, c'était un peu ça, quand même. On ajoutera malgré tout qu'il fut le dernier grand dirigeant de la droite française à exclure fermement toute convergence, idéologique ou stratégique, avec le Front National. Toute une époque...

Par quel miracle, malgré ce bilan, est-il aujourd'hui érigé au rang de mythe de la Vème République, de Président préféré des français ? L'explication qui vient spontanément à l'esprit est la comparaison avec ses successeurs. Chirac, garant malgré tout d'une certaine unité de la Nation, là où ses successeurs (Sarkozy, Macron, avec une parenthèse Hollande déjà oubliée) ont divisé ? Cette explication me semble juste, mais incomplète, voire paradoxale, et finalement révélatrice d'un certain aveuglement.

Osons un raccourci nécessairement simpliste, faute de pouvoir développer dans les détails : si ses successeurs ont divisé, c'est probablement à cause de cet immobilisme chiraquien. Ce raccourci s'applique il est vrai davantage à Macron qu'à Sarkozy.

J'ai toujours considéré que Sarkozy avait été élu sur sa capacité à incarner "l'alternance à droite" et surtout le retour du volontarisme en politique, après des années de paralysie et d'impuissance avouée. Chirac a donc permis Sarkozy, il lui a en quelque sorte préparé le terrain. Ce qui est dommage, c'est que Sarkozy se soit fourvoyé dans une droitisation à mon avis purement tactique de sa part, qui s'est avérée un échec (à mon sens, il perd la présidentielle de 2012 dès le discours de Grenoble en 2010 et la prédominance de la "ligne Buisson" qui s'ensuit). Sarkozy aurait pu être ce grand Président centriste que la France attendait, il a choisi une autre voie... Mais c'est en tout cas, je le répète, l'immobilisme chiraquien qui a permis l'arrivée de ce Président diviseur.

Le fait est encore plus net pour Macron. Car autant, il n'y avait pas nécessité à ce que Sarkozy divise, et sans doute y avait-il encore la place à l'époque pour des réformes et un activisme qui préservent l'unité nationale. Autant Macron a été élu dans un contexte explosif qui préexistait depuis longtemps, comme j'ai pu l'écrire ici, et a eu le malheur d'allumer l'étincelle de trop. On sent bien aujourd'hui que la voie de la réforme est plus qu'étroite, que désormais même les tentatives de réunification (par exemple un régime universel pour les retraites, mettant fin aux situations particulières et corporatistes) sont perçues comme des sujets de division.

C'est un peu facile, comme on le fait trop souvent, de blâmer uniquement les dirigeants en place. Même s'il y a eu des erreurs de communication, de posture, voire de fond (mais pourquoi les 80 km/h ? Pourquoi ???), les extrêmes tensions sociales actuelles et à venir ne viennent pas principalement des dirigeants en place. Nous payons pour avoir préféré Mitterrand à Rocard, et Chirac à Balladur. Nous payons pour avoir préféré les mirages des bonimenteurs à l'honnêteté des gestionnaires de talent. Nous payons l'absence de culture économique de notre pays. Nous payons pour avoir cru et pour croire encore que nous sommes toujours une grande puissance économique et politique, en capacité de maîtriser son destin et d'assurer un régime de solidarité viable et consensuel.

Jacques Chirac était un homme trop intelligent pour ne pas savoir tout cela. Mais il n'a rien fait. Pendant que la maison brûlait, il regardait ailleurs... Alors rendons-lui certes hommage, par coutume républicaine, pour l'utilité également que revêt cette fiction unitaire dont il serait l'un des derniers garants. Mais un hommage lucide et raisonné.

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