Lectures estivales

Comme l'été dernier mais avec retard, je vous propose cette année un petit résumé de mes lectures politiques estivales, avec deux courts ouvrages : Le monde au défi, d'Hubert Védrine, et Houellebecq économiste, de Bernard Maris.

  • Védrine ou le sens de la synthèse...

Sur la forme, l'ouvrage d'Hubert Védrine, notre excellent ancien Ministre des Affaires Etrangères, se présente comme un livre accessible, court et concentré, parfois même un peu négligé dans le style (usage immodéré du "etc." sur le mode "je ne vais pas m'ennuyer à développer vous avez compris l'idée"), comme s'il avait été écrit rapidement lors de voyages, repris façon puzzle d'articles écrits ici ou là, ou dicté oralement et repris en l'état... on a presque l'impression qu'il n'a pas voulu y mettre trop d'énergie, nous faisant déjà l'honneur d'écrire un livre pour nous instruire... heureusement, la lecture en reste malgré tout intéressante et peut en justifier l'acquisition.

Sur le fond en effet, le livre développe peu ou prou les thématiques que j'ai évoqué ici ou encore  sur le côté un peu fictif de la notion de communauté internationale, et la nécessité de prendre acte de ce relatif échec pour renouer le lien avec les aspirations des peuples.

Reprenant la fameuse discussion post-guerre froide entre les penseurs américains Francis Fukuyama et Samuel Huntington (le premier annonçant la "fin de l'histoire", le second au contraire l'arrivée d'un "choc des civilisations", ce choc succédant à la logique des deux blocs soviétique et étasunien), Védrine comme beaucoup aujourd'hui donne raison, ou moins tort, à Huntington, et nous propose de regarder la réalité en face, aussi désagréable qu'elle nous paraisse : la fin de la guerre froide n'a pas signifié l'entrée dans un monde pacifié et converti aux valeurs occidentales. Védrine n'a pas de mots assez durs pour dénoncer la prétention historique de l'occident à l'universalité de ses valeurs.

L'originalité et l'intérêt de l'ouvrage tient dans sa dernière partie, qui propose une voie pour parvenir malgré tout à constituer cette indispensable communauté internationale. Védrine fait clairement de la question climatique et environnementale le levier possible de la naissance de la communauté internationale, non par nécessité ou volonté de créer à tout prix cette communauté, mais tout simplement car la réponse à l'enjeu environnemental ne peut être que mondiale, et qu'il est question tout simplement du devenir de l'humanité. C'est donc LA question centrale d'aujourd'hui et de demain.

Pour finir sur une note pessimiste, Védrine fait état également du scepticisme de la classe politique face à sa thèse, ses relations au sein des partis traditionnels semblant se demander quelle mouche a bien pu le piquer pour placer la question environnementale ainsi au centre de ses préoccupations. C'est dire le niveau de prise de conscience politique sur l'importance de ces questions...

  • Houellebecq économiste ou Maris philosophe ?

Lecteur admiratif et passionné de Michel Houellebecq, ayant par ailleurs grandement apprécié la lecture de L'avenir du capitalisme de Bernard Maris que je vous recommandais à la fin de cet article, il était assez naturel que je m'attaque à la lecture de ce petit livre consacré par l'économiste à celui qui, d'après lui (je partage), est le plus grand romancier français de notre temps. La lecture de ce curieux ouvrage m'a toutefois laissé un sentiment mitigé.

Le propos de Bernard Maris est assez simple et clairement exprimé : pour lui, Houellebecq, mieux que n'importe quel économiste (et comme d'autres grands romanciers avant lui tel Balzac), décrit parfaitement les contradictions et failles de notre système économique, qu'on peut résumer par :
  • les travers de la consommation à outrance qui génère un perpétuel renouvellement de nos besoins (par l'obsolescence toujours plus rapide des objets, cf. les nouvelles versions de smartphone) et la montée des frustrations
  • en sens contraire (du côté du capitaliste et non du consommateur), la considération pour l'argent comme fin en soi qui est aussi un rapport différent au temps (on pourrait dire "l'argent c'est du temps") : garder de l'argent pour une consommation future, pour plus tard, pour "capitaliser", et constater qu'au final, le capitaliste, c'est "l'homme le plus riche du cimetière"
  • au-delà de ces thèses qui ne sont pas nouvelles, leur impact sur les relations humaines, la montée d'une société de plus en plus individualiste, etc.
Que Houellebecq apporte une vision particulièrement puissante de la société contemporaine, j'en suis personnellement convaincu, et on retrouve assez bien résumé l'apport de son oeuvre de ce point de vue. Maris cite les passages de Houellebecq affirmant son mépris pour la science économique et les sciences sociales en général.

Là où l'ouvrage déçoit, c'est dans les amalgames et un certain nombre de raccourcis de langage auxquels procède Maris, et qui obscurcissent un peu son propos. On pense notamment à la dénonciation de "l'économie" et du "libéralisme".

Il est curieux en effet de voir un économiste dénoncer sa discipline en tant que telle, là où on croit comprendre que son propos vise davantage une manière de faire de l'économie, basée sur le postulat de la rationalité (certes limitée) des comportements, la prétention scientifique, le primat de la gestion sur le projet de société... on aurait préféré que par clarté de langage il plaide pour "une autre économie".

De même il est surprenant de voir Maris tant critiquer le libéralisme, tout en mettant en exergue l'admiration (qu'il semble partager) de Houellebecq pour Tocqueville, qu'il (Houellebecq, pas Maris) considère comme le plus grand auteur politique ayant existé... mais qui est aussi considéré à peu près unanimement comme l'un des grands fondateurs de la pensée libérale. Maris confond donc le libéralisme dans son sens le plus profond, tel que l'entendent les spécialistes de la philosophie politique, avec l'usage caricatural qui est fait de ce terme dans le langage courant - décevant pour un penseur de ce niveau.

Au final, à lire tout de même, pour l'originalité du propos et pour se faire sa propre idée.

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